Tu ne bats plus, tu ne vis plus vraiment. Tu n’existes qu’à travers des mots qui viennent de tout et de toi. Qui parlent du monde, de la vie et de la mort. Qui expriment des sentiments, des sensations et des idées. Mais toi, tu ne bats plus. Parce que ce n’est pas du sang qui t’irrigue, mais de l’encre. Celle de tes maux, de tous ces vœux qui se réalisent parfois ou demeurent à jamais des rêves.
Tu n’es qu’un cœur de papier. Chaque lettre que l’on trace te laisse une blessure à vif, que même le temps ne parvient pas toujours à guérir. Mais à chaque fois qu’on te lit, tu te renforces et tu renais, pour continuer encore plus loin. Même si tu n’es qu’un cœur de papier, usé, déchiré, rapiécé. Qui s’envole au gré des vents, au fil du temps. Que l’on peut ranger dans un tiroir en attendant le jour où l’on aura à nouveau besoin de toi.
Tu étais lisse et vierge, à tes débuts. Étendue immaculée, dénudée, stérile. Et puis on t’a donné la vie, on t’a fait connaître le bien, mais aussi le mal, puisque l’un ne va pas sans l’autre. On t’a confié des secrets, des histoires, des légendes. Et tu les as si bien gardés, cœur de papier, que tous ces mots, toute cette encre, ont fini par t’empoisonner.
Pourtant tu n’es pas condamné, tu sais. Ce fardeau que tu portes ne s’allègera pas, mais il fait de toi quelque chose d’unique, d’infiniment précieux. Tu portes en toi la poésie du monde. Tous ces mots que l’on chuchote et qui se brisent dans le silence, qui échouent sur la rive d’un monde au conditionnel, tu as su les recueillir, les aider, les aimer, pour qu’ils ne se sentent plus jamais seuls. Tu as su en faire quelque chose de beau. De l’espoir.
Parfois, on prend un petit bout de toi, on le plie soigneusement et on l’envoie à quelqu’un d’autre, qui en avait besoin. Comme si tu étais infatigable, inépuisable. Mais tu sais, cœur de papier, il faut quand même prendre soin de toi. Parce que tout le monde ne le fera pas. Parce qu’il y aura parfois des mots méchants, qui ne cherchent qu’à blesser, et qui se graveront pour longtemps dans ta mémoire.
Prend aussi garde aux larmes, parce qu’elles pourraient diluer l’encre de tes veines et effacer toute une partie de ton histoire. Elles pourraient même te noyer, si tu n’y fais pas attention. Les promesses sont également dangereuses, surtout si elles ne sont pas tenues. Assure-toi bien que ce ne soit pas des paroles en l’air. Et si c’est le cas, fais tout ce que tu peux pour les attraper, saute le plus haut possible et attache-les soigneusement avec certains de ces mots comme « sincérité » et « honnêteté ». D’ailleurs, ils te seront aussi utiles si tu venais à croiser des mensonges, pour leur faire cracher la vérité. Mais il n’y aura pas que du mauvais, tu le sais. Tu vas rendre beaucoup de gens heureux, tu vas les faire rêver, les aider.
Cette vie ne sera pas de tout repos, j’en conviens. C’est une mission bien difficile, pour quelque chose d’aussi fragile. Après tout, tu n’es qu’un cœur de papier tout froissé, tout tâché, noirci de tous ces mots brisés que tu as su reconstruire. Mais même un cœur blessé peut continuer à exister, tu sais. Tant qu’il y aura des mots, tant qu’il aura des rêves, tant qu’il y aura cet espoir que tu contribues à créer et partager, tu ne pourras jamais disparaître.
Compte sur moi, cœur de papier. Je continuerai à t’écrire jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’à cet ultime instant où la vie ne voudra plus de moi, où les mots m’abandonneront. Je continuerai chaque jour à t’écrire, cœur de papier. Puisque c’est toi qui m’a sauvée.