J’ai trois vies. Une vie pour ma famille, une vie pour le travail, une vie pour l’écriture.
Dans la première, j’ai été l’enfant, la fille, la sœur ; puis l’amie, la fan, l’épouse, la maman. Dans cette vie-là, j’écoute, je console, je câline, je soigne, je cuisine, je ris, je crie, je pleure, je chante, je danse, je supplie, je partage, j’aime…
Dans cette vie-là, j’ai perdu des êtres qui m’étaient chers, j’ai donné la vie à mon tour ; j’ai rencontré les personnes qu’il fallait, et celles qu’il ne fallait pas, j’ai voyagé, j’ai connu ces moments de communion intense qu’on ne vit qu’auprès de ses idoles ; j’ai vécu des épreuves, des bonheurs, des tourments, des victoires…
Je sais qu’il y aura encore bien d’autres choses pour l’avenir, des bonnes comme des mauvaises, mais en attendant je m’efforce, autant que possible, d’être présente pour mes proches, qu’ils soient famille ou amis, de les aimer quoi qu’il arrive, de les aider s’ils en ont besoin, en espérant à chaque seconde leur bonheur.
Dans la deuxième vie, ensuite, je suis aide à domicile. Je fais le ménage, le repassage, les courses parfois. J’aide des personnes âgées en faisant à leur place ce qu’elles ne sont plus capables de faire, en bavardant quelques minutes pour égayer leurs journées, leur redonner le sourire.
Beaucoup diraient que c’est un métier ingrat, qu’on fait ça quand on n’a pas de diplôme… Et, c’est vrai, je n’ai pas de diplôme. Et même si je suis parfois fatiguée de nettoyer, de soulever, de ranger, je ne trouve pas que ce que je fais est ingrat.
Nos aînés sont notre mémoire, notre passé ; ils nous apprennent beaucoup si seulement on prend le temps de les écouter. Et après avoir passé leur vie à travailler, à s’occuper de leurs enfants, petits-enfants, et parfois arrière-petits-enfants, ils méritent bien qu’on s’occupe d’eux à notre tour.
Dans la troisième vie, enfin, je suis l’auteur. Je suis sur le papier tous ceux que je ne serai jamais en vrai. Je deviens qui je veux, j’invente, je m’évade, je m’échappe. Je me construis un monde rien qu’à moi, un refuge pour les tempêtes, un doudou pour les besoins de réconfort.
Dans cette vie-là, même si je fais en sorte de m’oublier et d’occulter mes deux autres vies, paradoxalement c’est là où je suis tout à fait moi… Où je m’épanouis, où je me sens enfin entière, comblée, apaisée.
Dans ma vie d’écriture, je laisse les mots me conduire où ils veulent, parce que je sais qu’en les suivant, je serai toujours sur le bon chemin.
J’ai trois vies.
Une pour et dans laquelle je suis née et que j’occuperai jusqu’à ma mort, avec toutes les joies et les peines qui l’accompagnent.
Une autre parce qu’il faut travailler, pour gagner de l’argent mais aussi pour ne pas rester inactif, pour ne pas se couper du monde quand bien même il devient fou.
Et une enfin que j’ai choisie, de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon être… et dont j’ai besoin pour oublier les tracas que causent parfois les deux autres vies. Celle-là, c’est la vie plaisir, la vie bonus ; celle qui me permet d’atteindre l’équilibre qui me convient.
J’ai trois vies. Et grâce à elles, je sais que je parviens à vivre un peu plus beau, un peu plus fort, un peu plus grand.
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