« Jâai Ă peine saisi ta main que je redoute dĂ©jĂ le jour oĂč elle lĂąchera la mienne »âŠ
Câest une chose Ă laquelle jâai pensĂ© quelques jours aprĂšs la naissance de ma fille SĂ©lĂšne, qui Ă©tait endormie contre moi, sa main dans la mienne. JâĂ©tais Ă©prouvĂ©e, Ă bout de forces, le moral au plus bas⊠et pourtant jâaurais voulu que ce moment ne se termine jamais car je lâaimais dĂ©jĂ de tout mon cĆur.
On est tous des ĂȘtres humains, pas des « super hĂ©ros », et parfois on semble au bord du gouffre, prĂȘt Ă craquer. VoilĂ lâĂ©tat dans lequel jâĂ©tais il y a deux ou trois mois.
Ce nâest pas aisĂ© de le reconnaĂźtre, plus difficile encore dâen parler⊠pourtant, je comprends maintenant quâil nây a aucune honte Ă avoir. Que le « baby-blues » est un passage que traversent beaucoup de jeunes mamans, et que ça ne signifie pas pour autant que lâon nâaime pas notre enfant. Bien sĂ»r, il y a des femmes pour qui cela nâaura durĂ© que quelques heures, peut-ĂȘtre quelques jours⊠moi ça a durĂ© des semaines. Mais il y a aussi des femmes qui ont une grossesse paisible, agrĂ©able, ce qui nâa pas Ă©tĂ© trop mon cas. Il y a des accouchements plus « faciles » que dâautres, et lĂ encore, le mien nâa pas Ă©tĂ© des plus simples. Mais ça aurait pu ĂȘtre pire aussi, jâen ai conscience. La clĂ©, aprĂšs tout ça, câest de savoir se laisser du temps⊠chose quâon a beaucoup de mal Ă comprendre et Ă mettre en pratique au bon moment, mĂȘme si tout le monde nous le rĂ©pĂšte !
En moins dâun an, je crois que je suis passĂ©e par tous les Ă©tats quâil est possible de connaĂźtre, par toutes les Ă©motions que lâon peut ressentir. La joie dâapprendre ma grossesse et en mĂȘme temps, le mal-ĂȘtre des premiers mois⊠La frayeur de perdre mon enfant en voyant mon corps lutter pour supporter tous ces bouleversements physiques et psychologiques⊠LâĂ©merveillement des Ă©chographies, des premiers coups dans mon ventre, et le souhait que les nausĂ©es cessent et me laissent profiter un peu plus de ces instants⊠La hĂąte de voir ce visage tant attendu et la fatigue extrĂȘme de ce poids dans mon corps qui mâempĂȘche presque de vivre normalement⊠et par-dessous tout ça, sans cesse, des questions, des doutes, des peurs, des espoirsâŠ
Câest une aventure incroyable de porter un enfant puis de lui donner la vie. On a beau lâimaginer, on ne le comprend quâune fois quâon lâa vĂ©cu⊠et lĂ encore, chaque grossesse, chaque naissance est unique. Câest ce qui rend ces choses aussi belles alors quâelles sont si difficiles.
Il y a quelques mois, juste aprĂšs la naissance de SĂ©lĂšne, je voulais absolument oublier ces moments : la douleur, les contractions, les suites de lâaccouchement, lâimpression que ça ne finirait jamais⊠Elle Ă©tait enfin nĂ©e et je souhaitais tout simplement me concentrer sur elle. Ne garder en mĂ©moire que cet instant oĂč je lâai tenue dans mes bras pour la toute premiĂšre fois.
Mais le retour Ă la maison nâest pas non plus le moment le plus simple. On est soudain « sans filet » et dans un sens, on se dit quâon nâa pas le droit Ă lâerreur. Parce que ce petit ĂȘtre dĂ©pend entiĂšrement de nous et que si lâon flanche, on le met en danger⊠pourtant Ă ce moment-lĂ on ne rĂȘve que dâune chose : dormir !
Je crois quâen rĂ©alitĂ© ce sont ces instants-lĂ qui ont Ă©tĂ© les plus pĂ©nibles pour moi. Je pensais avoir atteint mes limites avec la grossesse et lâaccouchement, mais jâen Ă©tais encore loin. Jâai dĂ» les repousser, les dĂ©passer, aller au-delĂ de tout ce que je me croyais capable de supporter physiquement et donc mentalement. Câest Ă©trange de retrouver son corps dâavant quand on lâa partagĂ© pendant neuf mois, mĂȘme quand ça nâa pas Ă©tĂ© trĂšs agrĂ©able. On se sent vide et inutile, ce qui nâarrange en rien les humeurs extrĂȘmes causĂ©es par la chute dâhormones â alors quâon est Ă ce moment-lĂ indispensable pour au moins une autre personne ! On passe du rire aux larmes sans mĂȘme comprendre ce qui nous arrive, et on pleure avec le sourire devant ce petit ĂȘtre si parfait quâon a rĂ©ussi Ă crĂ©erâŠ
Câest, je crois, lâĂ©preuve la plus difficile que jâai eu Ă affronter dans ma vie jusquâĂ maintenant. Et ça ne paraĂźt sans doute pas croyable, car lâarrivĂ©e dâun enfant est censĂ©e nâĂȘtre que du bonheur⊠Câest peut-ĂȘtre le cas pour certaines personnes, ça ne lâa pas Ă©tĂ© pour moi : le bonheur Ă©tait mĂȘlĂ© Ă beaucoup dâautres Ă©motions. Je ne le cache pas, je nâen ai pas honte. Jâai fait du mieux que je le pouvais avec mes capacitĂ©s. Et si Ă un moment je me suis dit que ça aussi, je lâoublierais, je sais Ă prĂ©sent que je veux mâen rappeler toute ma vie. Ce que jâai vĂ©cu, ce que jâai ressenti, est unique et infiniment prĂ©cieux. Câest mon histoire. La mienne et le dĂ©but de la sienne, aussi.
La naissance de SĂ©lĂšne a Ă©tĂ© une Ă©tape-clĂ© dans mon existence, elle mâa fait grandir et Ă©voluer, voir les choses de façon diffĂ©rente. MĂȘme si ces instants ont Ă©tĂ© pĂ©nibles, je rĂ©alise maintenant que ça nâa apportĂ© que du positif. Et il me suffit de regarder ma fille pour me le rappeler. Son sourire, ses beaux yeux, ses jolies joues, ses petites mains, ses petits piedsâŠ
Bien sĂ»r, ça ne sâest pas arrangĂ© du jour au lendemain, ce nâest pas devenu tout rose. Il y a les bons et les mauvais jours. Il y a les moments oĂč je perds patience, et ceux oĂč je mâĂ©merveille. Il y a les moments oĂč jâai hĂąte que SĂ©lĂšne grandisse, quâelle marche, et ceux oĂč je me retrouve Ă regretter ces premiers jours oĂč elle Ă©tait si petite â et Ă avoir la larme Ă lâĆil devant les pyjamas taille naissance ! Il y a les moments oĂč jâai hĂąte quâelle soit endormie pour me reposer un peu mais oĂč je la garde dans mes bras parce que je ne peux pas mâarrĂȘter de la contemplerâŠ
Jâaimerais pouvoir la garder ainsi le plus longtemps possible, ma main posĂ©e sur elle pour sentir les battements de son cĆur, le rythme de sa respiration⊠sa petite vie sous mes doigts, contre ma peau⊠Mais un jour elle fera ses premier pas, et elle parlera ; un jour elle deviendra une enfant, une adolescente, une adulte ; un jour elle volera de ses propres ailes mais je ferai tout pour que ce lien si prĂ©cieux qui nous unit ne sâaltĂšre jamais.
Heureusement, jâai encore du temps devant moi. Des heures, des jours, des mois et des annĂ©es entiĂšres Ă la voir grandir doucement et pourtant si vite. Câest pour cette raison que je sais quâil faut profiter de chaque seconde.
VoilĂ , sans doute, lâambivalence du fait de devenir parent. Je doute quâil existe une seule personne au monde qui nâait jamais ressenti ce dĂ©chirement entre joie et peine, entre Ă©merveillement et Ă©puisement aprĂšs lâarrivĂ©e dâun enfant dans sa vie.
Il y a six mois que SĂ©lĂšne est nĂ©e et je peux enfin parler de mon bonheur dâĂȘtre maman. Cela mâĂ©tait impossible il y a quelques semaines encore parce que je voyais en premier les choses les moins belles, les journĂ©es rythmĂ©es par les biberons, les couches et les lessives⊠Maintenant tout ça est devenu mon quotidien et je le fais avec plaisir, je me rĂ©gale de lui prĂ©parer ses purĂ©es et de lui enfiler ses jolis vĂȘtements de petite fille. Je la vois tous les jours apprendre et progresser, Ă son rythme ; je lui laisse le temps et je profite de ces moments parce que je sais quâils sont uniques dans une vie et je veux en garder le plus de souvenirs possible. Le soir, quand je vais me coucher, je mâarrĂȘte quelques instants Ă la porte de sa chambre pour lâĂ©couter respirer⊠et Ă chaque fois me vient le mĂȘme sourire.
Je ne croyais pas que ma vie serait bouleversĂ©e Ă ce point. Je ne pensais pas que je pourrais ressentir toujours plus dâamour chaque jour. Il y a quelques annĂ©es, je ne voulais mĂȘme pas avoir dâenfant. Et rĂ©cemment, jâai entendu dire : « Les enfants, tant quâon nâen a pas, câest difficile de sâimaginer sa vie avec eux puis quand on les a, on nâimagine plus la vie sans eux ». Il mâa fallu un peu de temps pour mâen rendre compte, mais aujourdâhui je sais que rien nâest plus vrai.
© OPHĂLIE PEMMARTY â TOUS DROITS RĂSERVĂS